Les anesthésies générales pratiquées chaque jour participent directement au réchauffement climatique. Mais des solutions existent  pour une administration écoresponsable des vapeurs anesthésiques au cours de l’anesthésie générale inhalée. Le Dr Laure BONNET nous l’explique.

  • En quoi consiste votre innovation ? Comment ça marche ?

Le nombre d’actes d’anesthésies pratiqués chaque année ne fait que croitre depuis des décennies : 4 millions dans les années 80, 8 millions en 1996 et près de 11,5 millions en 2010 (derniers chiffres). Il s’agit d’anesthésies locorégionales, de sédations ou d’anesthésies générales. Parmi les anesthésies générales, 70% sont entretenues par l’inhalation de gaz anesthésiants autrement appelés vapeurs anesthésiques via les respirateurs d’anesthésie.

Ces vapeurs anesthésiques sont le protoxyde d’azote et les gaz halogénés (essentiellement le desflurane et le sevoflurane). Hélas, ces vapeurs génèrent une problématique environnementale majeure : 

  • Le protoxyde d’azote est émetteur de gaz à effet de serre et destructeur de la couche d’ozone.
  • Les gaz halogénés sont émetteurs de gaz à effet de serre.

On mesure l’impact environnemental d’un gaz à son Pouvoir de Réchauffement Global à 100 ans (PRG100) que l’on compare à celui du CO₂ qui est par définition de 1. On utilise également la durée de vie dans l’atmosphère.

Le PRG à 100 ans du protoxyde d’azote est de 298, soit 298 fois plus important que le C02. Sa durée de vie atmosphérique est de 114 ans.

Parmi les halogénés, le PRG à 100 ans du Desflurane est de 2540, avec une durée de vie atmosphérique de 14 ans et celui du Sevoflurane est de 130, avec une durée de vie atmosphérique de 1,1 an.

Ces gaz utilisés sont très peu métabolisés, c’est-à dire qu’ils sont rejetés quasi « ad integrum » à l’issue du passage par le corps humain. Ils sont alors aspirés par des systèmes d’évacuation (prise SEGA), vers le système de ventilation de l’établissement puis sont rejetés dans l’atmosphère. En l’absence de prise SEGA, ils sont adsorbés par des filtres à charbon, mais cette adsorption n’est pas pérenne et ils finissent donc par être aussi relâchés dans l’atmosphère.

Les anesthésies générales pratiquées chaque jour participent donc directement au réchauffement climatique. Mais est-ce une fatalité pour autant ?

Les vapeurs anesthésiques sont acheminées jusqu’au patient via un mélange de gaz vecteurs  (appelés aussi gaz frais) associant de l’oxygène avec de l’air ou du protoxyde d’azote. Le débit de ces gaz frais est décidé par le praticien. Selon les réglages, on parle de haut débit (>2l/min), bas débit (<1l/min), ou de très bas débit (<0,5l/min). Le patient ne consomme qu’une part infime de ce mélange de gaz, qui contient aussi les gaz halogénés, c’est-à-dire qu’une grande quantité de gaz (gaz frais+gaz halogénés) est éliminée dans le système d’évacuation.

Le protoxyde d’azote a un intérêt clinique très faible, de nombreux effets secondaires (nausées vomissements notamment) et un impact environnemental énorme. Il peut parfaitement être éliminé de nos pratiques sans altérer la qualité de l’anesthésie.

L’administration écoresponsable des vapeurs anesthésiques au cours de l’anesthésie générale inhalée consiste à modifier nos pratiques d’administration en éliminant le protoxyde d’azote, réduisant le débit de gaz frais et en privilégiant le gaz halogéné le moins polluant pour un même effet clinique. Il est ainsi possible de réduire drastiquement l’impact environnemental des anesthésies générales inhalées. Ce bénéfice environnemental, s’accompagne de bénéfices économiques conséquents.

Il existe des systèmes de récupération des gaz afin de les recycler et de les réutiliser, mais à ce jour leur rendement n’est pas optimal et ils nécessitent un investissement financier. Nous avons besoin de plus de recherche dans ce domaine pour généraliser leur utilisation.

  • Quels bénéfices pour le patient ?

L’administration écoresponsable des vapeurs anesthésiques n’offre pas de bénéfices directs pour le patient, même s’il profite tout de même d’une qualité d’anesthésie inchangée et toujours optimale. En revanche, les bénéfices sont environnementaux par la réduction des émissions de gaz à effet de serre et économiques par la réduction du gaspillage et des dépenses.

  • En quoi contribue-t-elle au bon usage du médicament ?

L’administration écoresponsable des vapeurs anesthésiques au cours de l’anesthésie générale inhalée respecte les recommandations de pratique professionnelle établies par la Société Française d’Anesthésie Réanimation (SFAR). Elle permet l’optimisation de l’utilisation de ces médicaments d’entretien des anesthésies générales en réduisant leur impact sur l’environnement et le réchauffement climatique, ainsi que le gaspillage des ressources tout en générant des économies financières.

  • Le profil des fondateurs et ce qui leur a donné l’idée de cette création

Ces bonnes pratiques sont bien établies sur le plan scientifique et basées sur la littérature médicale et scientifique de ces dernières années. Elles sont promues par le Comité Développement Durable de la SFAR et font l’objet de recommandations de pratiques professionnelles (RPP), de fiches pratiques éditées par la SFAR et disponibles en ligne sur son site (SFAR.org) pour tous les professionnels, de formations dispensées par les membres de ce comité, de communications lors des congrès.

  • Les soutiens et partenariats éventuels déjà acquis

La SFAR est parmi les 1ers promoteurs de ces actions via son Comité Développement Durable. D’autres sociétés savantes internationales diffusent également ces informations. Le Comité Ecoresponsabilité en Santé (CERES) qui regroupe plusieurs sociétés savantes françaises, dont la SFAR, est aussi un relais actif.

  • Vos prochaines étapes et vos besoins pour vous développer

La diffusion au plus grand nombre de professionnels de ces informations et des RPP est l’étape primordiale actuelle. La SFAR organise des formations ouvertes aux professionnels : deux ont déjà eu lieu au siège parisien. Ces formations s’exportent sur le territoire français courant 2023 (renseignements sur le site SFAR.org).

Nous avons besoin de visibilité. Notre objectif est de diffuser ce savoir au plus grand nombre pour réduire au plus vite l’impact environnemental de nos pratiques professionnelles et de participer à la réduction de l’impact environnemental des systèmes de santé tant au niveau national qu’au niveau mondial. Cet impact est largement démontré aujourd’hui : émissions considérables de GES mais aussi, effets sur la santé publique, notamment sur le Disability Adjusted Life Years (DALY), qui représente l’impact d’une maladie en année de vie perdues.

A titre d’exemple, aux USA, la pollution engendrée par le système de santé était pourvoyeuse de 470 000 DALY en 2013.

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