Courte synthèse de l’interview :

Entre Autoriser la Mise sur la Marché d’un nouveau médicament et le rembourser, il y a plusieurs pas à franchir ce que le Pr Zambroswki nous explique dans son article « Autoriser n’est pas payer ». La complexité de notre système français d’évaluation du médicament soulève parfois des interrogations et la place d’un nouveau médicament dans la stratégie thérapeutique n’est pas un simple exercice de jugement pour projeter le juste prix.

L’AMM d’un médicament évalue le bénéfice en termes d’efficacité et les risques en termes de toxicité et d’effets indésirables, alors pourquoi est-il nécessaire que la Commission de Transparence ré-évalue le rapport bénéfice-risque avant l’étape de discussion sur le remboursement et le prix ?

Le CEPS, Comité Economique des Produits de Santé, est un organisme interministériel placé sous l’autorité conjointe des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l’économie, dont la fonction est de négocier le prix et non d’évaluer le produit. C’est à la Commission de la Transparence, en amont de cette négociation, que revient la mission d’évaluer le bénéfice d’un nouveau médicament. Certes le CEPS pourrait se fonder sur le contenu de la décision de l’AMM européenne approuvée par l’Agence du Médicament mais en France on a choisi un système évaluant 2 index, le SMR ou Service Médical Rendu et l’ASMR pour l’Amélioration du Service Médical Rendu. En effet s’agissant de l’AMM, n’importe quel médicament présentant une efficacité satisfaisante dans l’indication revendiquée avec une tolérance acceptable et fabriqué dans les bonnes règles de fabrication pharmaceutiques, obtient une AMM mais celle-ci ne préjuge ni de sa place dans la stratégie thérapeutique ni de son bénéfice supplémentaire par rapport aux traitements déjà disponibles.

Notre système a comme objectif l’amélioration de la santé et la qualité de vie des patients et a donc besoin d’apprécier le service médical rendu qui peut être plus ou moins majeur dans le cadre du remboursement mais aussi l’apport du médicament par rapport à l’existant. Le cas d’un générique, par définition, n’apporte pas de bénéfice par rapport au princeps, c’est aussi le cas d’un produit en 2eme ou 3eme ligne, qui peut avoir un SMR important du fait de la pathologie sévère concernée mais qui n’apportera pas d’amélioration. Cela permet au CEPS de valoriser l’innovation ou au contraire de donner un prix inférieur de 10 à 15 % dans un objectif purement économique. Notre système de sécurité sociale français est Bismarckien, il apporte une assurance pour les malades. Ce n’est que récemment lors du dernier PLFSS et la loi de finance, que des moyens supplémentaires pour la prévention a été introduit dans le budget de l’assurance maladie. La santé, concept collectif, est devenu un bien économique collectif.

Une discordance entre l’EMA et l’HAS sur cette appréciation du rapport bénéfice/risque  est -elle fréquente et dans quels cas survient elle ?

La différence sur l’efficacité d’un médicament est exceptionnelle car il n’y a pas de raison que l’analyse soit différente entre les experts commis par l’EMA et les experts de la Transparence du fait que les critères d’évaluation sont similaires. En revanche, mais l’appréciation de son inscription dans la prise en charge du patient peut être différente. L’évaluation en vue de l’AMM ne reflète pas la différence par rapport aux autres produits, ce n’est pas l’objectif.

Elle ne dit pas si ce produit doit être inscrit comme prioritaire dans les recommandations, s’il remplace un traitement existant ou s’il est une alternative par rapport aux autres médicaments. Rares sont les divergences d’évaluation du bénéfice intrinsèque mais par contre elles peuvent exister et être importantes concernant le bénéfice relatif.

La Commission de Transparence évalue la place d’un médicament dans la stratégie thérapeutique sur les données de développement clinique, pensez-vous cet exercice pertinent alors que les données dans la vraie vie ne sont pas encore évaluées ?

Dans la mesure où l’évaluation par la Commission se situe avant la mise sur le marché du médicament, les données de la vraie vie n’existent pas. La commercialisation crée la vraie vie. C’est pourquoi les clauses de révision avec l’exigence de registres permettent d’obtenir des données cliniques sur les malades suivis en vie réelle, sans les règles draconiennes des protocoles de phase III, avec plusieurs pathologies, polymédiqués, avec une observance variable, pris en charge par des médecins moins experts que les investigateurs, le médicament étant acheté et non mis à disposition, toutes ces circonstances de la vraie vie permettent d’évaluer le bénéfice réel. On aimerait d’ailleurs que ces clauses de révision au bout de 3 ans puissent conduire à une augmentation du prix de certains médicaments, ce serait logique.

C’est ainsi qu’on vérifie l’apport thérapeutique sachant que parfois ces données permettent aussi de voir que les médicaments ne répondent pas aux attentes des études de développement, pourtant très bien menées, comme ce fut le cas avec les médicaments pour l’Alzheimer qui ont conduit à les exclure du remboursement. C’est rare et sévère mais cela montre que ces données dans la vraie vie sont indispensables pour mesurer le bénéfice thérapeutique des médicaments dans le temps.

Vous qui êtes hospitalier et professeur de médico-économie à la fois, pensez-vous que les connaissances des professionnels de la santé, médecins en premier, est suffisante pour optimiser la prescription des médicaments ?

On peut toujours faire mieux et la formation continue est essentiel pour optimiser la prescription mais évidemment le problème est le temps octroyé pour les professionnels hospitaliers ou libéraux déjà surchargés. Le domaine des médicaments est devenu complexe avec de multiples classes thérapeutiques nouvelles. On traite par exemple des cancers avec des chimiothérapies orales prises à domicile, renouvelées par les médecins traitants qui n’ont pas forcément le temps d’absorber toutes les connaissances et qui suivent les préconisations hospitalières.

Tout ce qui pourrait améliorer les connaissances sur l’usage des médicaments, le bon usage, leurs effets indésirables et comment les réduire, est essentiel. Le principe n’est pas de prescrire un médicament sur une ordonnance informatisée, il faut accompagner le patient avec ses traitements, il ne faut pas abandonner cette tâche aux pharmaciens et à internet car l’échange avec le patient sur ses médicaments permet de favoriser l’observance, d’optimiser le bénéfice thérapeutique, d’évaluer la juste sécurité du traitement et de consolider la confiance. On peut faire mieux en matière de formation continue des prescripteurs, cela fait partie du bon usage du médicament et cela contribue directement à la santé des patients.

Professeur Jean-Jacques ZAMBROSWKI

  • Spécialiste en Médecine Interne – Hôpital Bichat
  • Professeur Université Paris Descartes
  • Paris Saclay en Politique et Economie de Santé
  • Délégué Général de la Société Française de Santé Digitale
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