Auteur : Dr Olivier BARRAUD, Pharmacien, Biologie médicale, CHU Limoges
Contexte
L’augmentation de la résistance aux antibiotiques est un problème de santé publique majeure. Établir le fardeau des infections à bactéries multirésistantes (BMR) en termes de morbidité et de mortalité reste complexe. Dans cette étude publiée dans le Lancet en septembre 2024, les auteurs ont estimé au niveau mondial, de 1990 à 2021, l’impact causé par les infections à BMR en mesurant le nombre de décès attribuables aux BMR, et la morbidité attribuable aux BMR exprimée en espérance de vie (ou années de vie) corrigée(s) de l’incapacité (DALY = disability-adjusted life-years). Une estimation du nombre de décès et du calcul du DALY a été déterminée à l’horizon 2050.
Méthode
Il s’agit d’un travail basé sur la collection la plus exhaustive possible de millions de données de santé issues de différentes bases de données qui colligent les causes de décès, les sorties d’hospitalisation, les données de la littérature, les données de microbiologie, les données de ventes de médicaments, les données de phénotypes de résistance aux antibiotiques, ou encore les données issues des compagnies d’assurance. Plus de 520 millions de données individuelles ont été colligées. Les décès et DALY associés à et attribuables aux BMR ont été déterminés pour 22 bactéries, 84 combinaisons bactérie-antibiotique et 11 syndromes infectieux. Les auteurs ont également généré des prévisions de décès et de calcul du DALY à l’échelle mondiale, mais aussi à l’échelle des continents et des pays, à l’horizon 2050, en testant 3 scénarios : le scénario plus probable ; celui avec le développement de nouvelles molécules dirigées contre les bactéries à Gram négatif ; enfin, un scénario avec une amélioration de la qualité des soins et un meilleur accès aux antimicrobiens.
Résultats
En 2021, 4,71 millions de décès (IC95 : 4,23-5,19) ont été associés aux BMR dont 1,14 million (IC95 : 1,00-1,28) directement attribuables aux BMR. De 1990 à 2021, les évolutions ont différé selon l’âge des patients et selon les pays : les décès ont diminué de 50 % chez les enfants de moins de 5 ans alors qu’ils ont augmenté de plus de 80 % chez les adultes de plus de 70 ans (diapositive 1, voir sur le PDF). Le staphylocoque doré résistant à la méticilline (SARM) est la BMR dont la cause dans les décès a le plus augmenté (de 57 200 décès imputables à 130 000). Parmi les bactéries à Gram négatif, ce sont les entérobactéries productrices de carbapénémases qui ont vu leur imputabilité augmenter le plus, avec une augmentation de 127 000 à 216 000 décès attribuables à ces bactéries. À l’horizon 2050, le nombre de décès associés aux BMR serait de 8,22 millions (IC95 : 6,85-9,65) dont 1,91 million de décès (IC95 : 1,56-2,26) directement attribuables aux BMR. Les zones du globe les plus concernées seraient l’Asie, l’Amérique latine et les Caraïbes (diapositive 2, voir sur le PDF). Les patients de plus de 70 ans seraient les plus concernés par cette augmentation des décès. Le nombre de DALY (d’années de vie en bonne santé perdues) augmenterait de façon plus modérée de 42,6 millions (IC95 : 36,1-49,0) en 2021 à 46,5 millions (IC95 : 37,7-57,3) en 2050. Selon le scénario d’un meilleur accès aux soins, 92 millions de décès cumulés entre 2025 et 2050 pourraient être évités ; 11,1 millions de décès cumulés pourraient être évités en cas de développement de nouvelles molécules dirigées contre les bactéries à Gram négatif.
Commentaire
Estimer les effets sur la mortalité et la morbidité des infections à BMR est un travail très difficile à conduire en raison de la non-exhaustivité et de la non-homogénéité des données cliniques et microbiologiques disponibles. De plus, l’imputabilité d’une BMR dans une infection chez des patients souvent polypathologiques n’est pas toujours évidente à trancher. Ainsi, les études ou rapports qui s’intéressaient à ce sujet étaient généralement limités à un pays, un continent et/ou à certains syndromes infectieux avec des méthodologies variées. Cette étude fait suite à un premier travail publié en 2022 qui avait évalué le fardeau de la résistance aux antibiotiques (cf. Best Of 2023 de La Lettre de l’Infectiologue). Les résultats présentés ici permettent d’apporter des éléments consolidés avec une notion de temporalité qui permet de bien visualiser les évolutions à la fois démographiques et géographiques de l’impact de la résistance aux antibiotiques de 1990 à 2021 et avec une estimation à l’horizon 2050. Ces travaux d’envergure menés à l’échelon mondial permettent d’apporter des éléments qui devraient aider les décideurs politiques à prendre les décisions de santé publique à même de lutter contre l’augmentation et la diffusion de la résistance aux antibiotiques.
Références
GBD 2021 Antimicrobial Resistance Collaborators. Global burden of bacterial antimicrobial resistance 1990-2021: a systematic analysis with forecasts to 2050. Lancet 2024;404(10459):1199-226.
Pour aller plus loin
Antimicrobial Resistance Collaborators. Global burden of bacterial antimicrobial resistance in 2019: a systematic analysis. Lancet 2022;399(10325):629-55.
Antimicrobial Resistance Collaborators. The burden of bacterial antimicrobial resistance in the WHO African region in 2019: a cross-country systematic analysis. Lancet Glob Health 2024;12(2):e201-e216.