Article original sur Harmonie-Santé
Ils font partie de notre quotidien – et nous oublions parfois qu’ils ne sont pas anodins. Pire, il n’est pas rare que nous nous livrions à quelques « petits arrangements » avec nos ordonnances… Un récent sondage a ainsi montré que trois Français sur dix adaptent, par eux-mêmes, la dose ou la durée des médicaments qui leur ont été prescrits. Une personne sur cinq prend également des doses plus fortes ou plusieurs médicaments en même temps pour soulager plus vite les symptômes.
« En France, nous avons une relation passionnée avec les médicaments, observe Alexandre de La Volpilière, directeur général adjoint des opérations de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Mais il faut rappeler que ce ne sont pas des biens de consommation comme les autres. Bien sûr, ils peuvent sauver, mais ils peuvent aussi engendrer des effets indésirables pouvant être graves s’ils sont mal utilisés. » Une étude parue en 2022 avait montré que, tous les ans, 212 500 hospitalisations et environ 2 760 décès sont liés à un effet indésirable médicamenteux.
Pouvoirs publics, professionnels de santé et acteurs de la filière militent depuis quelques années pour une consommation plus « responsable » des produits de santé, voire une « sobriété médicamenteuse ». Et chacun a un rôle à jouer dans cette démarche.
Qu’appelle-t-on le « bon usage » du médicament ?
Le bon usage du médicament répond à un principe simple : « Le bon médicament, au bon patient, à la bonne dose et pendant la bonne durée, résume le Dr Anne-Lise Bienvenu, pharmacienne aux Hospices civils de Lyon. C’est comme pour une recette de cuisine ! Il faut les bons ingrédients pour faire un bon gâteau. »
Tout médicament contient en effet une ou plusieurs substances actives qui agissent sur l’organisme. Si celles-ci ont vocation à soulager et soigner les patients, elles peuvent aussi générer des effets indésirables. « Nos instances de santé valident uniquement la mise sur le marché des produits qui ont une balance bénéfice/risque favorable, poursuit la spécialiste. Si vous prenez un médicament à bon escient, la balance du bénéfice par rapport au risque est positive, c’est-à-dire que la survenue d’un éventuel effet indésirable est acceptable au regard du bénéfice thérapeutique. En revanche, en cas de mésusage, cette balance est susceptible d’être déstabilisée et de pencher du côté des risques. »
L’ANSM a listé quatre bons réflexes à avoir face aux médicaments. « Le premier, c’est de respecter la prescription du professionnel de santé, détaille Alexandre de La Volpilière. Le deuxième, c’est d’utiliser uniquement les médicaments prescrits ou conseillés par celui-ci. Le troisième, c’est de ne pas prendre plusieurs produits en même temps sans l’avis d’un spécialiste. Et enfin, le dernier point, c’est de bien faire attention aux modalités et à la durée de conservation des médicaments. Car, si on ne respecte pas ces prescriptions, on s’expose à des risques et à une perte d’efficacité et donc à une prise en charge qui ne sera pas optimale. »
La surconsommation de médicaments peut-elle être dangereuse pour la santé ?
La question des risques liés à la surconsommation médicamenteuse se pose dans plusieurs cas de figure. L’enjeu est notamment celui de la polymédication, autrement dit la prise simultanée de différentes substances. « L’utilisation de plusieurs familles de médicaments chez un même patient peut entraîner des complications (1), indique le Dr Pierre de Bremond d’Ars, médecin généraliste à Malakoff (Hauts-de-Seine).
Nous avons des modèles et des outils pour essayer de limiter autant que possible les interactions. Mais, à partir de plus de 4 médicaments pris ensemble, nous ne savons pas toujours ce qui peut se passer. »
Les personnes âgées, qui sont souvent traitées pour de nombreuses pathologies, sont particulièrement exposées à cette problématique. D’après les chiffres de la Caisse nationale d’Assurance maladie, près de la moitié des plus de 65 ans prennent au moins 5 molécules par jour.
Comment contribuer à la « sobriété médicamenteuse » ?
Le premier levier qui s’offre aux médecins traitants est celui de la réévaluation régulière de l’ordonnance. « L’idée est de s’interroger de manière assez systématique. Est-ce que le patient a toujours besoin de tous ces médicaments ? Certains ne sont-ils pas redondants ou restés là inutilement ? Sont-ils toujours bien tolérés ?… », décrit le Dr Éric Baseilhac, président de l’Association Bon Usage du Médicament (ABUM).
L’enjeu est aussi de « proposer une prise en charge globale, qui va au-delà du médicament lui-même, ajoute Pierre de Bremond d’Ars. Prenez le cas des lombalgies : nous savons très bien que la remise en activité compte énormément. Si je ne fais que prescrire des antidouleurs, je ne remplis pas mon rôle. Certes, il arrive que certains patients « réclament » des médicaments, notamment les parents pour leurs enfants. Mais prendre le temps d’expliquer et de rassurer permet de désamorcer la plupart des situations. Mieux connaître sa pathologie et le rôle des médicaments est aussi une façon de gagner en autonomie. »
Pour le président de l’ABUM, qui est convaincu que le sujet nécessite une « approche collaborative », « les pharmaciens jouent aussi un rôle majeur car ils sont aux premières loges de la consommation médicamenteuse ». Grâce au dispositif baptisé « bilan partagé de médication », ceux-ci peuvent ainsi proposer une consultation pharmaceutique aux patients âgés polymédiqués. « Pour le moment, cet outil n’a malheureusement pas été beaucoup utilisé, fait remarquer Éric Baseilhac. Mais les médecins ont désormais la possibilité de prescrire ce bilan, ce qui est une évolution très intéressante. »
Depuis quelques mois, les pharmaciens peuvent aussi délivrer un traitement antibiotique dans le cas où un Test rapide d’orientation diagnostique (TROD) a confirmé l’origine bactérienne d’une angine ou d’une cystite. « C’est une façon de hiérarchiser et de mieux rationaliser les prescriptions », se félicite Anne-Lise Bienvenu, pharmacienne.
Pour lutter contre une forme de « surdélivrance » des médicaments, les industriels sont aussi invités à agir. « Chacun doit mener ce combat à son niveau de responsabilité, estime Alexandre de La Volpilière de l’ANSM. Nous encourageons notamment les laboratoires pharmaceutiques à travailler sur les conditionnements afin de les rendre plus adaptés à la durée des traitements. Cela évite le gaspillage ainsi que le « stockage domestique » qui, on le sait, peut amener à du mésusage. »
Quelles sont les bonnes pratiques pour limiter sa consommation de médicaments ?
Pour Anne-Lise Bienvenu, trois règles doivent guider le patient : « Prévenir, réfléchir et demander conseil ». « Je pense que la première des choses, c’est de préserver sa santé pour ne pas avoir besoin de médicaments, dit la spécialiste. Aujourd’hui, une grande partie de la population prend des médicaments, soit pour traiter un diabète souvent induit par une obésité, soit pour des problèmes cardiovasculaires ou pulmonaires liés à une mauvaise hygiène de vie ou à la consommation de tabac. »
Il est aussi essentiel, préconise la pharmacienne, de ne pas recourir d’emblée à un médicament proposé en vente libre. « Même avant de prendre un comprimé de paracétamol, médicament consommé de manière banale, je dois me poser la question : En ai-je vraiment besoin ?
» Attention, d’ailleurs, aux dérives de l’automédication. « Il est recommandé de demander l’avis d’un professionnel de santé avant de prendre un médicament, surtout si c’est pour une pathologie qui se répète, rappelle Anne-Lise Bienvenu. Ne débutez pas non plus un traitement en vous servant de comprimés qu’il vous reste dans votre armoire à pharmacie ! Car ce que le médecin vous a prescrit correspond à une situation clinique donnée qui peut ne plus être la même par la suite. »
Le dialogue avec son (ou ses) médecin(s) est la clé de voûte d’une consommation responsable et appropriée. L’ABUM conseille notamment de signaler, à chaque consultation, ses traitements en cours et ne pas hésiter à poser des questions sur les risques d’interactions. « Il faut aussi se garder de toute initiative personnelle, insiste Éric Baseilhac, son président. Ne retirez pas de vous-même certains médicaments parce que vous en prenez plus de cinq ! Il y a des cas où tous les traitements sont indispensables et il faut le respecter. »
« C’est évidemment la santé et le besoin du patient qui priment, conclut Alexandre de La Volpilière. Sobriété ne veut pas dire rationnement mais plutôt bon usage. »
(1) Plusieurs signaux d’alerte peuvent indiquer un accident médicamenteux. Parmi eux : des vertiges, des chutes fréquentes, des pertes de mémoire, des troubles digestifs ou encore des palpitations.