Auteur : F. Lemaitre, EHESP, Inserm, service de pharmacologie biologique, CHU de Rennes, université de Rennes

Contexte

L’ utilisation de dispositifs de microprélèvement et la mesure des quantités d’analytes sur une matrice de type “sang séché”, dried blood spot (DBS), en anglais, n’est pas une nouveauté. En effet, depuis les années 1960, le test de Guthrie, qui vise à détecter des pathologies congénitales chez le nouveau-né, utilise très exactement ce type d’ap- proche. Les 1 res approches couplant la mesure de concentration d’un échantillon à une détection par spectrométrie de masse remontent, quant à elles, à plus de 40 ans. Pour autant, ce n’est que très récemment que ces approches ont commencé à être plus largement utilisées pour la mesure de la concentration de médicaments et l’adaptation subséquente de leur posologie. Le suivi thérapeutique pharmacologique (STP), à l’aide de dispositifs de microprélèvement, offre des perspectives originales en pharmacologie biologique, et son déploiement dans toutes les aires thérapeutiques a déjà commencé. Il permet en effet d’imaginer une biologie hors les murs, d’évaluer l’exposition complète aux médicaments de manière mini-invasive et, finalement, il est une occasion unique de réévaluer la relation exposition-effet de certains médicaments, afin de sécuriser en amont l’utilisation du médicament et d’améliorer l’efficacité des traitements. Le STP des immunosuppresseurs en transplantation d’organe solide est sans doute le domaine qui a le plus bénéficié de cette innovation technologique. Et l’objectif de cette mise au point est, après avoir présenté les principes du STP par micro prélèvements, leurs avantages et leurs limites, de détailler les principales utilisations qui peuvent être faites de cette approche innovante.

 

Principe du suivi thérapeutique pharmacologique par microprélèvement

Un microprélèvement est un prélèvement dont le volume est faible. Il est généralement admis que celui-ci doit être inférieur à 50 μL pour répondre à cette définition. Le recueil peut se faire par différents moyens, mais, le plus souvent, une incision est réalisée au bout du doigt du patient afin de recueillir une goutte de sang qui servira de matrice pour effectuer le dosage du médicament. Cette goutte de sang peut être collectée sur un simple papier buvard ou au travers de dispositifs plus élaborés limitant les biais lors de la quantification (figure 1). Le sang est ensuite séché et peut être stocké jusqu’à l’analyse, autorisant, pour les médicaments les plus stables, un transport du lieu de prélèvement vers le laboratoire de pharmacologie qui réalisera l’analyse. L’analyse en tant que telle nécessite une phase d’élution du sang depuis le dispositif de microprélèvement, mais peut généralement être conduite par la suite avec les mêmes procédures que celles utilisées pour l’analyse de prélèvements sanguins standard.

 

Avantages et limites

Le principal avantage des approches par microprélèvement est la réduction du volume prélevé. En effet, contrairement aux prélèvements sanguins usuels, la mesure de concentration des médicaments peut se faire sur des volumes 10 à 100 fois plus faibles, occasionnant une gêne minime pour le patient et réduisant, de fait, le caractère invasif du prélèvement en lui-même. La simplicité et la praticité de cette approche permettent de la substituer de manière quasi complète à un prélèvement sanguin et offrent de nouveaux avantages dans le cadre du STP. Par exemple, elle permet, en raison de la faible expertise requise pour utiliser les dispositifs de microprélèvement, de faire réaliser l’acte de prélèvement par le patient lui-même après une courte formation. Ainsi, le STP par microprélèvement permettra d’économiser du temps infirmier. Le fait que le patient puisse réaliser lui-même ce STP offre aussi la possibilité de le lui faire faire chez lui, en dehors de toute structure de soins. Dans la plupart des cas, le stockage des prélèvements sous forme de DBS augmente la stabilité des échantillons et en autorise donc une conservation plus longue. Le très faible caractère invasif des approches de microprélèvement autorise également la répétition de ces prélèvements, ce qui permet un suivi rapproché des médicaments ou la réalisation de prélèvements répétés sur un même intervalle de prise, et cela, afin de mesurer l’aire sous la courbe (ASC) des concentrations des médicaments d’intérêt. Ce type d’approche ouvre alors l’accès à l’exposition globale aux médicaments (mesure de l’ensemble des concentrations d’un médicament entre 2 intervalles d’administration) et donc à des informations pharmacocinétiques individuelles complètes permettant un ajustement thérapeutique extrêmement fin chez les patients. En ce qui concerne les limites, le faible volume de prélèvement entraîne de fait une réduction des quantités de médicaments présentes dans l’échantillon et nécessite l’utilisation d’équipements de sensibilité élevée pour la mesure des concentrations. Par exemple, le passage d’une prise d’essai de 100 μL à une prise d’essai d’un microprélèvement de 10 μL induit une diminution de la quantité de médicaments mesurable dans l’échantillon d’un facteur 10. L’autre écueil majeur provient du biais de quantification potentiellement introduit par les variations de volume des échantillons ou l’hématocrite du patient. En effet, selon le volume de la goutte de sang prélevée et la fluidité du sang du patient, une quantité différente d’analyte peut être prélevée. Cela peut induire un biais de quantification majeur si, par exemple, le niveau d’hématocrite est différent entre la matrice qui a servi à l’élaboration de la gamme de calibration et la matrice du patient. Il s’agit de l’une des problématiques les plus fréquentes avec les approches de STP par microprélèvement. Toutefois, ce biais peut être partiellement ou complètement résolu par l’utilisation de dispositifs de microprélèvement volumétriques. Ceux-ci, contrairement aux approches DBS standard, vont prélever un volume précis de matrice, limitant, de fait, les différences de quantités prélevées entre les matrices différentes (figure 2, p. 118). L’un des paradigmes majeurs de l’évolution du STP classique vers le STP par microprélèvement est la nature différente de l’échantillon. En effet, dans la plupart des cas, la matrice utilisée en pharmacologie biologique est le plasma (ou le sérum), mais la collection de sang périphérique obtenue à l’aide d’un dispositif de microprélèvement entraîne donc l’utilisation du sang total. Si ce n’est pas nécessairement un problème pour les médicaments dont le STP se fait sur sang total ou pour ceux pour lesquels aucune zone thérapeutique n’est disponible (médicaments nouvellement mis sur le marché, par exemple), les médicaments dont les relations concentration-effet ont été établies à partir de mesures plasmatiques doivent faire l’objet d’une réévaluation pour cette matrice. La préparation d’échantillons d’un prélèvement issu d’un microprélèvement nécessite également des étapes de traitement supplémentaires (séchage, désorption, sonication, etc.) qui vont allonger son temps. Les méthodes analytiques faisant appel à l’utilisation de microprélèvements requièrent une méthodologie de validation distincte des méthodes analytiques traditionnelles, avec des étapes supplémentaires et la vérification de paramètres propres [1]. Enfin, ces dispositifs ont un coût qui va faire augmenter le prix de l’analyse, même si le remboursement qui lui est attaché n’est pas affecté par cette augmentation.

 

Suivi thérapeutique pharmacologique des immunosuppresseurs par microprélèvements

L’utilisation de dispositifs de microprélèvement se prête particulièrement au suivi des médicaments immunosuppresseurs. En effet, pour les inhibiteurs de calcineurine et ceux de mTOR, le STP se fait sur sang total et la transposition des valeurs usuellement utilisées avec le sang total liquide est directe. Comme pour les méthodes de prélèvement de sang total, celles des microprélèvements peuvent être multiplexées et permettre la mesure des concentrations sanguines de l’ensemble des médicaments du traitement du patient (tacrolimus ou ciclosporine, évérolimus ou sirolimus, acide mycophénolique) simultanément à partir d’un unique prélèvement capillaire de quelques millilitres [2]. Le patient transplanté va en effet bénéficier d’un STP fréquent et continu de ses traitements immunosuppresseurs qui nécessiteront de nombreux prélèvements, à la fois dans un contexte d’hospitalisation, de suivi en consultation, mais aussi à domicile. Dans ce contexte, le caractère très peu invasif et flexible de l’approche par microprélèvements présente d’évidents avantages. Elle permet l’épargne du capital veineux du patient en limitant les effractions au pli du coude ainsi qu’un gain de temps infirmier en consultation, elle autorise les autoprélèvements par le patient à son domicile, même sans recours à une structure de soins, et, le cas échéant, la réalisation de prélèvements multiples sur un même intervalle de prise. Ce sont ces 2 derniers points qui seront développés dans les parties suivantes.

 

Suivi thérapeutique pharmacologique à domicile par microprélèvements

Comme décrit précédemment, les approches de suivi biologique par microprélèvements se prêtent particulièrement à un suivi biologique délocalisé. En effet, il est possible, et simple, de former le patient à la réalisation des autoprélèvements. Celui-ci réalisera le prélèvement à domicile grâce à un kit contenant tous les éléments nécessaires (lancette pour l’effraction cutanée, dispositifs de microprélèvements, compresses, pansements, contenant pour le stockage des dispositifs après recueil du sang capillaire, dessiccant pour assurer la stabilité du prélèvement et matériel pour l’envoi des prélèvements). Il pourra ensuite adresser ce prélèvement au service de pharmacologie réalisant le STP des immunosuppresseurs le plus proche. Ce processus de biologie hors les murs permet une véritable couverture territoriale de la zone géographique du centre de greffe de référence. Ainsi, les patients habitant à distance du centre de greffe peuvent bénéficier de l’expertise pharmacologique de leur centre hospitalier de référence sans avoir à se déplacer ni même à se rendre dans leur laboratoire de biologie médicale de proximité. Cette stratégie de STP délocalisé présente donc plusieurs avantages. Premièrement, elle autorise la centralisation du STP des immunosuppresseurs au niveau du centre de greffe, permettant à chaque patient de bénéficier de l’expertise pharmacologique la plus élevée sur le territoire, voire même de celle du laboratoire de référence du STP des immunosuppresseurs, comme c’est le cas de 2 centres en France. En effet, lorsque les prélèvements sont effectués dans les laboratoires de biologie médicale de proximité, les analyses ne sont pas faites sur place et sont envoyées sur des plateformes. Ce circuit induit des délais d’analyse et de retour des résultats vers le prescripteur qui peuvent être longs et, par ailleurs, l’interprétation des résultats de mesure d’exposition des immunosuppresseurs est faite par des biologistes non spécialistes, dont la valeur ajoutée postanalytique est limitée. Enfin, la multiplicité des méthodes analytiques utilisées au niveau de ces plateformes (immunoanalyses ou spectrométrie de masse) induit un risque de variabilité non négligeable pour des médicaments à marge thérapeutique très étroite. Les approches par microprélèvements permettent une centralisation des analyses dans les services de pharmacologie des centres de greffe avec une homogénéité des techniques analytiques, des délais courts d’analyse et de rendu de résultats ainsi qu’une interprétation et une prestation de conseil proposées par des spécialistes du domaine. Ensuite, la mise à disposition de kits d’autoprélèvement avec ce type de dispositifs permet en outre une très grande réactivité, dans les cas où une mesure de concentration des immunosuppresseurs doit être effectuée rapidement, comme en cas de signes d’événements indésirables (signes de rejet ou d’effets indésirables) ou en cas de suspicion ou de prise en charge d’une interaction médicamenteuse [3]. Dans ce contexte d’urgence, le patient peut immédiatement réaliser lui-même son prélèvement et l’envoyer au laboratoire de pharmacologie du centre de greffe avec un délai de réponse qui peut être, selon notre expérience, aussi court que 48 h. Cela permet un pilotage de l’immunosuppression de manière rapprochée et à distance. Ce type d’approche a, par ailleurs, été utilisé pour éviter la venue à l’hôpital dans un contexte d’épidémie infectieuse, période pendant laquelle on ne veut pas exposer ces patients immunodéprimés à un risque d’infection acquise lors d’un recours à des soins, sans pour autant les exposer à une diminution de la fréquence de leur STP des immunosuppresseurs, ce qui pourrait constituer, pour eux, une perte de chances [3]. Finalement, dans un contexte de ressources médicales, paramédicales et de santé publique, au sens large, extrêmement contraintes, le recours à la stratégie de suivi biologique hors les murs permet un gain de temps médecin et infirmier. En réduisant le nombre de trajets nécessaires du patient vers le centre de greffe ou un autre centre de prélèvement, le suivi à domicile présente également un fort potentiel d’économies de santé pour la Sécurité sociale.

 

Évaluation de l’aire sous la courbe des concentrations d’immunosuppresseurs

Mais l’opportunité principale apportée par les approches de STP par microprélèvements est la possibilité de réaliser de multiples prélèvements sur un même intervalle d’administration des médicaments immunosuppresseurs. Le côté extrêmement peu invasif des microprélèvements rend la mesure de l’ASC d’immunosuppresseurs, qui était peu accessible avec la ponction veineuse au pli du coude, bien plus réalisable et acceptable pour le patient. En effet, effectuer plusieurs ponctions veineuses le même jour présente un caractère traumatique, lequel disparaît presque complètement avec les microprélèvements. Il devient alors possible de réaliser jusqu’à 8 prélèvements d’une goutte de sang au bout du doigt du patient sur un même intervalle de prise afin d’évaluer l’ASC, qui est le meilleur marqueur de l’exposition aux médicaments. La démonstration de la supériorité l ’ASC, rendu possible par ces approches innovantes utilisant des microprélèvements, a le potentiel de complètement révolutionner le suivi thérapeutique des médicaments immunosuppresseurs en réévaluant leur relation exposition-effet et en proposant de nouvelles cibles d’exposition, plus directement reliées à l’effet réel des immunosuppresseurs. Enfin, la mesure d’ASC peut être utilisée dans un certain nombre d’autres situations : sécurisation du risque d’interactions médicamenteuses ou encadrement d’autres procédures à risque, comme un changement de formulation par exemple [8, 9].

 

Conclusion

Le suivi thérapeutique pharmacologique est, grâce à l’avènement des mesures de concentrations mini-invasives par microprélèvements, sans doute à un carrefour de son évolution. La réduction du volume de prélèvement, la possibilité d’autoprélèvements et l’opportunité d’accéder à des prélèvements multiples, en particulier sur un même intervalle d’administration, offrent des potentialités nouvelles. C’est notamment vrai pour les médicaments immunosuppresseurs qui peuvent bénéficier du STP par microprélèvements. Le suivi biologique de la greffe peut alors se faire hors des murs de l’hôpital, à domicile, par le patient lui-même, ce qui le simplifie, le rend potentiellement plus sûr pour lui et moins onéreux. La réalisation d’ASC doit également permettre de faire passer un nouveau cap, en termes d’impact clinique du STP des immunosuppresseurs, avec des gains potentiels en termes de survie du greffon et de survie du patient, ainsi que de sécurité en limitant la survenue d’effets indésirables.

 

Points forts

» Cette mise au point présente le principe de l’utilisation de microprélèvements pour le suivi thérapeutique pharmacologique.
» Les limites et les avantages sont présentés et discutés, et l’application des approches par micro prélèvements au suivi thérapeutique pharmacologique est détaillée.
» Cette mise au point explore en particulier l’utilisation du suivi thérapeutique pharmacologique des immunosuppresseurs par microprélèvements pour le suivi biologique à domicile et l’intérêt de la réalisation d’aires sous la courbe des concentrations chez le patient ayant eu une transplantation d’organe.

 

Références bibliographiques

1. Capiau S et al. Official International Association for therapeutic drug monitoring and clinical toxicology guideline: development and validation of dried blood spot–based methods for therapeutic drug monitoring. Ther Drug Monit 2019;41(4):409-30.
2. Koster RA et al. Dried blood spot validation of five immunosuppressants, without hematocrit correction, on two LC-MS/MS systems. Bioanalysis 2017;9(7):553-63.
3. Golbin L et al. First experience of optimization of tacrolimus therapeutic drug monitoring in a patient cotreated with nirmatrelvir/ ritonavir: how microsampling approach changes everything. Transplantation 2023;107(2):e68-9.
4. Kuypers DRJ et al. Clinical efficacy and toxicity profile of tacrolimus and mycophenolic acid in relation to combined long-term pharmacokinetics in de novo renal allograft recipients. Clin Pharmacol Ther 2004;75(5):434-47.
5. Meziyerh S et al. Tacrolimus and mycophenolic acid exposure are associated with biopsy-proven acute rejection: a study to provide evidence for longer-term target ranges. Clin Pharmacol Ther 2023;114(1):192-200.
6. Le Meur Y et al. Individualized mycophenolate mofetil dosing based on drug exposure significantly improves patient outcomes after renal transplantation. Am J Transplant 2007;7(11): 2496-503.
7. Couette A et al. Area under the curve of tacrolimus using micros ampling devices: towards precision medicine in solid organ transplantation? Eur J Clin Pharmacol 2023;79(11):1549-56.
8. Izarn O et al. Follow the area under the curve not the trough concentration: a case study of tacrolimus monitoring in a kidney transplant recipient cotreated with phenobarbital. Ther Drug Monit 2024;46(3):285-7.
9. Monchaud C et al. Tacrolimus exposure before and after a switch from twicedaily immediate – release to once-daily prolonged release tacrolimus: The ENVARSWITCH study. Transpl Int 2023;36:11366.

Dans le cadre de notre partenariat avec EDIMARK SANTÉ, éditeur de presse médicale spécialisée, + de 25 spécialités, une ligne éditoriale référencée dans la presse médicale d’information et de formation continue, nous sommes heureux de vous offrir une remise de 20 % sur l’ensemble des publications en cliquant sur le lien suivant : https://bit.ly/3xtNTVO

Votre code promotionnel ABUM à renseigner est : ABUM2024.

Recherche thématique